Comment votre personnage a-t-il été amené à ouvrir les yeux sur la situation ? Peut-être que lorsqu'on vit dans le district Pashmilla et que l'on a grandi dans les rues, que l'on s'est retrouvé sans foyer à cause des dettes et sans repère suite au départ d'un père, la situation nous paraît déjà bien mauvaise. Elle sait très bien que le gouvernement ne se pressera jamais pour aider les plus démunis, que la politique n'est qu'un ramassis d'hypocrites qui propagent de belles paroles et se complaisent dans leur aisance. Mais elle n'a aussi que peu d'attente concernant les rebelles, elle ne croit pas vraiment qu'ils obtiendront gain de cause. Puis, elle a peur lorsqu'elle aperçoit les gardiens dans les rues de son district, lorsqu'elle assiste à un raid, et elle ne voudrait pas non plus qu'il arrive quelque chose à sa famille en déversant sa colère. Ceux qui osent se soulever sont courageux, mais Ellen ne voit pas l'utilité de se battre pour rien, pas sans avoir la certitude que les choses pourraient vraiment changer.

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I can take care of myself,
trust me.
Huit ans.
Une petite fille était assise en tailleur sur le sol et malgré les nombreux avertissements de sa mère, elle n’en bougeait pas. La petite fille était joyeuse, elle fredonnait un air qu’elle avait dû entendre quelques jours plus tôt, chanté par l’un des nombreux visages qui occupaient cette pièce le jour comme le soir. La petite fille était assise au milieu d’un bar dont les propriétaires étaient ses parents, mais elle ne s’était pas rendue compte d’un fait pourtant évident : sur ses deux parents, un était absent depuis quelques jours. Et la petite fille ne se rendait pas compte de l'épuisement de sa mère, qui avait le ventre rond depuis quelques temps. Était-ce cela qui la rendait nerveuse ? La gamine sentait qu’un rien pourrait l'énerver et pourtant, elle restait la petite fille insouciante qui n’écoutait pas toujours les grandes personnes, à moins qu’on y mette le ton. Et c’était son père qui se chargeait de cela, d'habitude. « Ellen, je ne le répéterai pas… va jouer à l’étage ! » Serait-ce le fait que père soit absent ? Parfois il s’en allait, ce n'était pas la première fois. Ellen se releva sur ses pieds et approcha sa mère avec prudence, tirant sur sa manche une fois parvenue à sa hauteur. « Il rentre quand papa ? » Maman était plus gentille quand papa était là, c’étaient les pensées qui lui traversaient l’esprit à cet instant, mais sa mère fut prise d’un léger vertige et prit place sur une chaise. Elle soupirait sans regarder sa fille dans les yeux, marmonnant quelques paroles comme si elle cherchait une bonne excuse, pour finalement lui dire qu’elle ne savait pas. « Monte… va te reposer en haut, je n’en ai plus pour longtemps, d’accord ? » La mère caressa les cheveux de sa fille avant de reprendre ce qu’elle faisait, tandis que la gamine soufflait d’un air boudeur. On ne voulait jamais rien lui dire, mais elle avait déjà huit ans, et on était assez grande à cet âge-là pour savoir ce que faisait son père quand il partait. Elle allait s’exécuter et s’enfermer dans sa chambre quand la porte du bar s’ouvrit sur un homme aux épaules larges. Un homme qui ne ressemblait guère à son père, mais qui n’était pas non plus un client. C’était fermé, aujourd'hui. Alors la gamine n’écouta guère sa mère, une fois de plus, et agit comme la petite curieuse qu’elle était en écoutant la conversation des adultes. Sans trop comprendre ce qu’ils se disaient, elle vit le visage de sa mère se tordre en une grimace à mi-chemin entre l’horreur et la peur ; son frère, lui, avait une toute autre expression.. Et ce fut cette colère lisible sur le visage de son aîné, qu'Ellen prit peur. Quelque chose de mal venait d’arriver, mais de tout ce qu’elle avait pu imaginer, perdre sa maison n’en faisait pas partie. Et quand on avait que huit ans, on ne comprenait pas pourquoi un étranger avait le droit de jeter sa famille dehors, alors que tout leur appartenait une seconde plus tôt. Pourquoi son père ne rentrait pas ? Pourquoi n’était-il pas le héros qu’il avait toujours été pour sa petite fille ? Elle aurait préféré rester petite, finalement, et continuer à se bercer d'illusions.

Onze ans.
Les jumelles pleuraient toujours, elle les avait nourri pourtant et bercé, et elles ne se calmaient toujours pas. Pourquoi ne se calmaient-elles pas ? Ellen assistait à la scène sans rien dire, mais sa mère était épuisée, nerveuse et à bout. Elle faisait de son mieux pour supporter chaque jour qui passait et les jumelles ne lui rendaient pas la tâche facile. Voilà trois ans qu’ils vivaient dans des taudis parmi les plus pauvres, parce que les Sixsmith avaient tout perdu : leur foyer, leur gagne-pain et l’homme qui était censé s'occuper de tout ça, et prendre soin d’eux. Cet homme de qui venait la faute et qui avait fui comme un lâche, un homme dont Ellen oubliait peu à peu les instants passés avec lui, du temps où elle l’appelait encore « papa » et qu’elle souriait à l’idée de le voir traverser le pas de la porte. Désormais, il n’était plus qu’un homme détestable qui avait rendu sa mère malheureuse et qui obligeait Arthur à se tuer au travail, pour leur permettre de vivre. Ellen n’avait jamais été témoin de la misère qui régnait dans son district avant d’y être confrontée, elle ne se rendait pas compte de la chance qu’elle avait autrefois, elle qui avait toujours rêvé d’une plus grande chambre. Quand le cocon se brise et que notre mère nous délaisse, que notre frère est constamment occupé et que notre père est absent… on apprend à se débrouiller. Ellen était assez grande pour aider sa mère à changer les petites, à les serrer dans ses bras pour les calmer et à les nourrir quand maman était fatiguée… Elle pouvait aider à la cuisine, au ménage et aux courses… Elle aurait pu faire des caprices, réclamer de l’attention et agir comme les enfants de son âge, et quelque part elle était restée cette enfant-là, mais elle ne voulait pas être un fardeau de plus. Elle voyait à quel point sa mère était dépassée, en partie à cause des jumelles, mais surtout à cause de leur situation. Ah… aucun d’eux ne s’attendait à descendre plus bas que terre, et maintenant ils devaient faire avec. « Je vais les faire dormir, tu vas voir ça marche bien. Les filles, r’gardez par-là... ouh qu’elles sont mignonnes ! » Ellen fit d’abord des grimaces, puis elle titilla le ventre de ses sœurs pour les chatouiller, puis les pieds, puis leurs joues et toutes deux la regardaient avec leurs grands yeux bleus. A mesure qu’elles se calmaient, leur mère se laissa tomber sur une chaise avec un petit sourire sur les lèvres, soulagée. Les jumelles étaient allongées sur un matelas avec Ellen à leurs côtés, et après plusieurs minutes de jeu, de rires et de légèreté, elles s’endormirent toutes les trois. Leur mère oublia alors pourquoi elle s’était tant énervée, elle couvrit ses filles et partit s’occuper du repas en fredonnant un air familier. Où l’avait-elle entendu ? Peu importe, sa fille lui avait ôté une épine du pied et demain, elle recommencerait pour soulager sa pauvre mère. Ellen aimait sa famille, plus que tout autre chose dans ce monde et ça ne la dérangeait pas de prendre soin de ses sœurs. Elle était assez grande pour ça, sa mère était plus joyeuse ainsi et les journées étaient plus agréables, même si leurs conditions de vie ne changeaient pas. Un jour la roue tournerait et la chance leur sourirait à nouveau, elle en était persuadée. En attendant, elle essayait de rendre leur quotidien plus facile à vivre.

Quatorze ans.
« Tu… oh… » Il ne plaisantait pas, il ne la faisait pas marcher, il n’avait pas menti. Elle n’y avait pas cru, parce qu’ils n’avaient pas vraiment les moyens et que ce serait de la folie, mais elle ne rêvait pas. « Il est…à moi, vraiment ? Pour moi ? » Elle avait deux beaux yeux ronds qui brillaient d’excitation et elle se retenait de crier, mais elle avait envie de sauter partout tant c’était incroyable. Arthur, lui, grimaçait déjà face à son comportement des plus puérils –et elle se disait mature-, mais ce n’était pas rien. Il savait ce qu’il se cachait au fin fond des pensées de sa petite sœur ? Connaissait-il les rêves qui se bousculaient dans son esprit chaque jour ? Peut-être avait-elle souvent évoqué la chance qu’il avait d’avoir Jolene, la belle ténéfix qui le suivait partout. Et peut-être qu’il en avait eu assez de la voir loucher sur son amie.. « Ha, il a bougé ! Il est mign-ah, attends ! » La petite créature s’échappa des mains de la jeune fille et fit le tour de la pièce en zigzagant. Un beau petit zigzaton. Prends-en soin, lui dit-il. C’était le plus beau cadeau d’anniversaire qu’on pouvait lui faire, mais combien lui avait-il coûté ? Était-ce bien raisonnable ? Cela dit, ce n’était pas une question qui la préoccupa sur l’instant. « Merci, merci ! Si tu savais comme je suis contente… ! » Son cher frère écourta les sensibleries et elle ne devait même pas compter sur un câlin fraternel, même si elle lui aurait bien sauté dessus comme une gamine surexcitée… mais elle le disait elle-même : elle n’était plus une gamine. Elle laissa son frère retourner à ses affaires tandis qu’elle s’assit au sol, attendant que le pokémon vienne vers elle de lui-même. Quand il eut fait le tour de la pièce, il s’approcha avec prudence comme il semblait à la fois nerveux et excité. Elle attendit patiemment en l’observant du coin de l’œil, un sourire taquin sur les lèvres tandis que le zigzaton s’avançait toujours plus. Lorsqu'il fut à portée de main, elle fit un geste pour le saisir et il lui échappa pour se cacher derrière un meuble, puis il approcha de nouveau. A chaque fois il lui échappait et à chaque fois il revenait, comme s’il la défiait de pouvoir l’attraper. Il était un peu joueur, curieux et rapide le filou… tout pour plaire à l’adolescente qui ne doutait pas que ses journées deviendraient plus intéressantes avec Rhys. Pourquoi ce nom ? Elle ne savait pas vraiment, ça lui était venu tout seul, mais c’était court et mignon, ça lui allait donc plutôt bien. « Bienvenue dans la famille, Rhys. Je prendrai très grand soin de toi, si tu veux bien de moi. » Il vint frotter ses petits pics contre la jeune fille qui venait d’obtenir son premier pokémon, et elle rit aux éclats. Ses rêves prenaient forme petit à petit, lui donnant toujours plus de force et de courage pour les jours suivants.

Aujourd'hui, dix-huit ans.  
Il n’est pas facile d’être une adulte, même si elle ne cesse de le clamer haut et fort, et de se convaincre que son rôle a changé. Il est difficile d’être une personne responsable, même si elle insiste pour piocher dans sa part de responsabilités. Il est difficile de remplacer une mère, même si elle joue ce rôle avec le sourire et depuis des années. Il est difficile d’assumer seul le rôle du chef de famille, elle le sait et elle voudrait aider, mais il refuse de l’écouter, son crétin de frère. Elle le voit sombrer chaque jour un peu plus, impuissante et elle en a assez d’être une gamine qui se repose sur les autres lorsqu'elle peut agir ! Pourquoi serait-il le seul à supporter tout ça ? S’il ne le voit pas, elle oui, elle voit combien ça le tue à petit feu, mais il est au moins aussi borné qu’elle. Sois forte, elle est chaque jour plus déterminée à sortir les Sixsmith de la merde, comme elle le dirait, et elle continue à prendre la vie du bon côté. Elle s’en sort plutôt bien, malgré les difficultés et les récentes nouvelles qui déchirent la ville. Mais elle a déjà bien assez à penser pour pester contre les nouvelles lois, aucune ne parle d'aider sa famille, alors ça n'a aucune espèce d'importance. Elle ne veut pas sombrer comme son frère, alors elle agit comme elle pense être le mieux, en travaillant. Il ne se rend pas compte des sentiments qui la traversent lorsqu'elle le regarde, du pincement au cœur qu’elle ressent tous les soirs ou lorsqu'il a un peu de retard… Et même si elle garde la tête haute, elle reste humaine et ne peut pas toujours rester de marbre face à l'état d'Arthur, qui la touche au point qu'elle en vienne à se détester pour l'avoir rendu comme ça, elle et les trois autres bouches qu'il doit penser à nourrir.. Elle est assez grande maintenant, qu'il le veuille ou non.
Et d'un autre côté, elle la regarde tricoter tous les jours, sa tendre mère qui n’en finit jamais de sourire et de tout prendre à la légère, elle qui ne voit plus rien. Elle ne voit pas son fils rentrer le soir exténué, éteint, froid… Et elle ne voit pas sa fille aînée qui semble plus fatiguée chaque matin, comme si ses nuits étaient de plus en plus courtes. Elle ne voit pas non plus les petites jumelles qui grandissent, encore et toujours innocentes et pleine de vie. Elles ne comprennent pas tout et ce qu’elles voient, c’est une mère qui leur sourit et qui s'occupe de tout, excepté les vivants. C’est Ellen qui les emmène à l’école et qui revient les chercher, qui les borde le soir et les réveille au matin.. Elle prend garde à ce qu’elles mangent à leur faim, qu’elles n’aient pas trop froid la nuit et qu’elles aient le sourire à chaque instant. C’est exténuant, mais elle est heureuse de pouvoir faire tout ça pour elles, pour sa mère et pour lui. Ça n'a peut-être aucune incidence, l'argent qu'elle ramène ne changera peut-être pas grand-chose, mais elle est heureuse de pouvoir le faire quand même. Avoir le sentiment d'aider lui suffit, du moins pour le moment. Et lorsqu'il n'est pas content, elle ne manque pas de rappeler à son frère qu'elle n'a plus dix ans, mais femme ou pas, elle reste la petite sœur. Quand sera-t-elle prise au sérieux ? Pas de si tôt, sans doute.