Accoudée à la barrière de bois, Adélaïde regarde les chevaux de feu passer devant elle à une vitesse fulgurante. Les pokémons sont plus que des sources de revenus dans sa famille, et tout particulièrement pout elle : ils sont une fascination constante, une obsession. Surtout ceux de l'élément feu. Et surtout ceux dédiés à la course. Adélaïde ne sait pas au juste d'où elle tire ce lien étrange avec eux. Mais depuis gamine déjà, elle les préférait aux humains. A vrai dire, elle n'est pas très douée avec ses congénères. Enfant, elle passait pour une petite sauvage, refusant de participer aux soirées mondaines, de se plier aux exigences que réclamaient son rang. Adélaïde, la flamme. C'est son surnom depuis gamine : la flamme. Ça lui plait, beaucoup. La flamme a su chevaucher des pokémons avant même de savoir marcher. Elle ne tenait pas droite que déjà, on la juchait sur les dos des ponytas. Comme c'est doux, l'enfance, pense t-elle, appuyée sur la barrière, en train de regarder les jockeys s'entrainer. Comme c'est beau, et ce parfum de plénitude que ramènent ses souvenirs, et cette envie de tout recommencer de zéro, de sentir le bonheur affluer, encore. Jockey, voilà un métier qu'elle aurait adoré. En tout cas, elle aurait bien voulu pouvoir continuer de monter, ne serait-ce que pour le plaisir. Mais la vie en décide autrement, fait mourir les passions et les rêves avant même qu'ils ne puissent s'accomplir. Adélaïde, gamine, avait tout l'argent nécessaire pour faire ce qu'elle voulait, choisir un métier à sa convenance. Mais c'était trop beau pour être vrai. Il fallait bien qu'elle perde ce qui lui tenait le plus à coeur, d'une manière ou d'une autre.

Pour Adélaïde, le moyen de perdre tout ce qui faisait de sa vie quelque chose de lumineux, ce fut les protections. Celles que l'on met pour chevaucher les galopa, immunisées contre le feu. Celles qui protègent, logiquement. La sentence est tombée, une fois la jeune fille à l'hôpital, dans un sale état suite à l'inévitable accident : les protections avaient été trafiquées. Le coupable n'a jamais été retrouvé. Des rebelles qui voulaient atteindre l'élite ? Une autre famille riche qui souhaitait blesser les O'Reilly ? Ou alors quelqu'un de la famille elle-même ? Cette dernière thèse fut retenue, et marque encore les esprits, quatorze ans plus tard, faisant jaser les riches tout comme les pauvres. Voilà peut-être pourquoi Adélaïde se méfie autant de ses cousins, parfois même de ses frangins. Et de ses oncles et tantes, de ses grands-parents. De son propre père et de sa propre mère. La carrière, c'était terminé, et la famille, c'était terminé. Tout ce qu'elle avait pour se consoler, c'était des brulures sur les jambes, les bras, mais surtout sur le dos et le ventre pour les plus graves. Des traces que l'on peut cacher, certes, et qui se sont estompées avec le temps. Mais des marques qui l'ont réduite à néant, et l'ont laissée agonisante dans une chambre d'hôpital plusieurs mois durant.

La flamme venait d'être brulée. Quel comble, pense t-elle, toujours contre sa barrière, le regard amer et quelque peu agressif à l'encontre des jockeys qui s'entrainent devant elle.

Après cet accident, Adélaïde s'est éteinte. Entièrement. Pendant quatre ans, elle n'a pas décroché un mot. Traumatisme, que les médecins disaient. Elle s'en souvient très bien, de tout ces gens qui parlaient d'elle à la troisième personne, comme si elle n'était pas là, simplement parce qu'elle avait cessé de leur répondre. C'était dégradant, rabaissant. Qu'à cela ne tienne, Adélaïde se souvient aussi ne pas s'être laissée abattre. Elle a étudié deux fois plus, s'est soumise aux conventions de l'élite, s'est mise à aimer le luxe. Robotisée, incapable de penser, elle est devenue la jeune femme parfaite : à vingt ans, tout le monde chantait déjà ses louanges. Mais personne n'oubliait les brulures, surtout pas les maris potentiels. Elle se consolait, et se console toujours, en se disant que de toute manière, elle les aurait tous repoussés. Pas le temps pour l'amour. Depuis ses vingt ans, Adélaïde ne vit plus que pour l'entrainement. Intellectuel comme physique. D'elle-même, de ses pokémons. Abby, Gumiho, Nylaathria.

Et pour cause : son entrée chez les rebelles, dans Les Lumières plus précisément, est parvenue à raviver la flamme qui vivait en elle avant le terrible accident. Lui a redonné le goût de vivre, au moins d'essayer, de ne pas se contenter d'être un robot qui emmagasine des informations. Elle a de nouveau un but, a retrouvé son âme. Entrer chez eux n'a pas été une mince affaire, forcément. Surtout qu'habituellement, Adélaïde l'a appris par la suite, les membres en dessous de vingt-cinq ans ne sont pas admis. Elle en avait déjà vingt-trois, certes, mais elle n'a pas pu s'empêcher de penser, sur le moment, qu'elle avait eu de la chance d'être admise. Ou peut-être que ce n'était pas de la chance, finalement, mais qu'elle avait su faire ses preuves. Les lumières n'exigent pas de rites barbares comme d'autres groupes rebelles, certes, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'ils n'ont pas de système de recrutement. Elle a été observée suite à son premier contact avec eux, elle s'en doute, et le contrôle qu'elle possède d'elle-même en société a su les convaincre. Il n'empêche que ce premier contact, elle l'a obtenu d'une manière tout à fait idiote : en entendant une conversation. Lorsque l'on est resté muet pendant quatre ans, on sait qui écouter, quand, comment. On apprend à entendre, non pas à accaparer la parole. Alors pendant une soirée, elle a capté ce qu'elle voulait : un léger fléchissement dans la voix d'un membre de la haute société qui exprimait sa totale admiration au gouvernement. Elle n'a rien pu faire ce soir-là et a été forcée d'attendre, mais elle a gardé un oeil sur lui, consciencieusement. Ce ne sont que quelques mois plus tard qu'elle l'a surpris entrain de faire ce qu'elle attendait tant de lui : dévoiler, loin des regards indiscrets et des oreilles qui trainent, l'adresse d'un nouveau salon des lumières à un collègue rebelle. Forcément, il fallait bien que les informations circulent ; or, à ce moment précis, elle avait parvenu à être présente. Le jour J, Adélaïde a pu se pointer à ce club privé de la haute société, l'un de ceux qui servent de couverture aux rebelles, le coeur bordé d'appréhension ; c'était son premier contact avec eux et depuis, totalement ralliée à leurs idéaux, elle est parvenue à marcher à leurs côtés. La flamme est de nouveau là, prospère, et l'alimente en haine nécessaire pour tenter de faire basculer le gouvernement. Ce foutu gouvernement responsable des rêves brisés de millions de personnes. Peut-être même du sien, par une relation de cause à effet, allez savoir.