Le combat fait rage à cet instant précis. Personne ne sait qui sera le vainqueur tant les adversaires sont au coude à coude. Mais Alistair sait. Il sait que son Mangriff sortira vainqueur. Il n'a pas d'autre solution : son entraînement intensif dès son acquisition a toujours porté ses fruits jusqu'ici. Sur tous les matchs d'entraînements qu'il a disputé, il n'a subit aucune défaite. Bien sûr, pour le jeune homme, ces matchs n'ont rien d'un entraînement, ce sont de véritables batailles, où on ne doit pas retenir ses coups. Comme les vrais combats qu'il sera amené à disputer lorsqu'il sera dirigeant de la Garde, dans une dizaine d'année. Même son frère et sa sœur, dresseurs d'exception, ne trouvent rien à redire à ses performances. Du haut de ses 15 ans, il est celui qui a connu la réussite la plus fulgurante : d'abord son entraînement physique digne des plus grands de la Garde et maintenant son entraînement de dresseur. Parfait, sans un seul accroc. Ce combat n'est rien de plus qu'une formalité qui le fera briller au sein de sa famille. Il suffit qu'il mette K.O. son adversaire, et ça ne devrait plus tarder.  Il hurle un nouvel ordre à son pokemon, un sourire provoqué par la fièvre du combat peint sur son visage. Une attaque Eclategriffe, pour finir en beauté. Dans la poussière soulevé par le combat, il distingue son Mangriff qui s'élance. Un cri des spectateurs, massés sur sa gauche, attire son attention. Il peut discerner le visage choqué de sa sœur, et celui, plus dur, de son père. Les bruits de lutte diminuent et il reporte son regard sur son pokemon, étendu au milieu du terrain. Il lui crie de se relever, de se battre comme il le doit. Puis il note, dans son énervement, que le Baggaid adversaire est bien trop éloigné pour être responsable de l'état de son pokemon. La stupeur a remplacé le sourire qu'il affichait, et il court aussi vite qu'il peut jusqu'à Sevis, toujours étendu dans la poussière. Il n'ose pas le toucher, en oublie de respirer. Sans qu'il sache comment, il se retrouve assis sur une chaise, à attendre seul à l'extérieur d'une salle le verdict d'un des meilleurs soigneurs Pokemon de Néopolis. La porte s'ouvre, son cœur bondit. Son frère sort en lui jettant un regard désapprobateur, suivi de sa sœur et de sa mère, qui passent devant lui sans s'arrêter. Son père sort à son tour, un air mauvais sur le visage. Il fonce droit vers son fils, hurlant qu'il n'est qu'un bon à rien, la honte de la famille. Sa main se lève et s'abat à toute vitesse, claquant sur sa joue.

Alistair se réveille en sursautant, couvert de sueur. Il fixe la porte de sa chambre, des larmes lui brouillant la vue. Quelqu'un vient de refermer cette porte au moment où la claque aurait dû l'atteindre, par ironie du sort. Il sait que cette personne ne peut être que Basil, son valet. Personne d'autre ne viendrait dans sa chambre au milieu de la nuit. Ça fait donc une personne qui est au courant pour ses cauchemars. Pile ce qu'il fallait. Il aurait été en colère, dans d'autres circonstances, mais il est trop secoué par son énième cauchemar pour se laisser envahir par une telle émotion, encore moins pour rattraper le domestique et lui demander des comptes tout en le menaçant. Le jeune homme se rallonge, incapable de rassembler la volonté de se lever et de nettoyer son visage plein de sueur. Il fixe son plafond, plongé dans le noir, et se prépare pour une nuit blanche, comme à chaque fois qu'il fait ce cauchemar. Ça fait maintenant 13 ans que l' "incident", comme le qualifie son père, a eu lieu et pourtant, Alistair est toujours hanté par les événements. A chaque fois, il lui est impossible de se rendormir : la culpabilité qui le ronge est toujours plus forte que ce qu'il peut endurer dans ces moments là. Il revoit Sevis, repense à tout ce qu'il aurait pu faire pour éviter d'en arriver là. Modérer son entraînement, ne pas pousser le pokemon dans ses retranchements. Le prendre en considération comme un être vivant et non une quelconque arme, tout simplement.  Il a beau lutter, il finit par craquer lorsqu'il revoit le moment où le soigneur lui a annoncé que son Mangriff ne se remettrait jamais du surmenage qu'il a subi, et qu'il mourrait dans peu de temps des suites de son traitement. Se tournant sur le côté, le jeune homme essuie une larme qui coule le long de sa joue. Puis une autre. Il abandonne à la troisième et se laisse aller pleinement, à l'abri des regards.

Le lendemain matin, sans avoir eu le moindre repos depuis son réveil inopiné, Alistair se lève et se prépare en silence. La tension entre lui et son valet est palpable : l'intrusion du domestique dans sa chambre pendant la nuit, qu'elle soit motivée ou non, ne plaît pas du tout du goût du jeune homme. Sans aller jusqu'à la violence physique, inutile après les heures les séparant de l'incident, le benjamin de la famille Wolfgang fait sentir à son valet toute sa colère. Son regard est dur, froid, et pesant : il ne quitte pas Basil des yeux, et ne lui adresse la parole que pour lui donner des directives.

"Après que tu aies terminé de ranger mes affaires, je veux que tu apportes ce message à ma mère, je n'aurai pas le temps de la voir avant de partir. Et ne traîne pas, c'est important, et puis c'est bien pour ça qu'on te paie."

Sa remarque est désobligeante et basse, mais c'est le moins qu'il puisse faire pour évacuer sa frustration. Ce n'est pas dans son habitude. En fait, Alistair et Basil étaient amis, auparavant. Pas au sens stricte du terme, évident, mais ayant grandis ensemble et étant presque du même âge, ils ont partagé de nombreux souvenirs d'enfance, créant un lien aussi serré qu'une relation de maître à domestique puisse le permettre. Ce n'est qu'en entrant dans l'adolescence, quand Alistair a commencé à être façonné par les attentes de son père, qu'ils se sont éloignés. Pourtant, le jeune Wolfgang a toujours voulu rester aussi proche de son ami que possible, même après sa paralysie par empoisonnement. Certains n'étaient pas d'accord pour que Basil garde sa position avec son handicap, mais Alistair ne partageait pas leur avis. Ce n'est qu'en Janvier dernier que le jeune homme a commencé à mettre de lui-même des barrières entre eux. Après ce qui s'est passé avec son deuxième valet : la loi du quota de pokemons venait d'entrer en vigueur, mais il se trouve que son second valet était en possession d'un quatrième pokemon illégalement et que Basil était au courant. Le sentiment de trahison qui a frappé le benjamin de la famille ne l'a plus vraiment quitté depuis le moment où il a découvert ce qui se passait. Le second valet a été renvoyé mais Basil est resté au service des Wolfgang parce qu'il n'était en somme pas coupable et parce que sa famille avait toujours été à leur service. Se remémorer ces événements joue sur les nerfs d'Alistair et il décide, avant de quitter sa chambre, de forcer un peu plus ses démonstrations d'hostilité : tendant à Basil le message qu'il a pour charge de remettre à sa mère, le jeune homme fait un mouvement brusque, envoyant exprès le message rouler au pied du lit. Satisfait, Alistair sort en claquant la porte, lançant un "Bien joué." pour dernière pique à son valet.

D'ordinaire, il aurait été rejoindre la section dont il est le chef au sein de la Division d'Intervention pour une mission quelconque dans un quartier pauvre, ou tout autre activité typique de la Garde, mais aujourd'hui n'était qu'un jour d'entraînement. Parfait : après une nuit sans sommeil et la tension qui palpable entre lui et son domestique, la dernière chose qu'il lui fallait était de voir son abruti de cousin, Monsieur Cerberus Wolfgang. C'est lui, le dirigeant de la Division d'Intervention, entre autre, et autant dire que leur relation ne peut pas être plus critique. Si la famille Wolfgang est connue pour sa discipline, son intransigeance et surtout sa violence, aucun des habitants de Néopolis ne peut s'imaginer au combien Cerberus est le pire d'entre eux. Il incarne aux yeux d'Alistair tout ce qu'il y a de plus détestable chez un chef : c'est un homme qui aime la violence pour la violence, le sang pour le sang. Un détraqué à la tête de la seule force armée de la ville, quoi de plus brillant. Sans compter qu'il n'est même pas de la même branche familiale que le jeune homme : c'est le fils de Vénus et Christian, qui ont réussi petit à petit à s'emparer du pouvoir au sein de la famille, pouvoir qui résidait jusque là dans la branche d'Icarus et Clarissa, les parents d'Alistair. Une raison de plus pour le détester, donc.

Mais aujourd'hui est un jour sans Cerberus, et donc un bon jour. Conrad, un des membres de la section d'Alistair, et son meilleur ami qui plus est, l'attend pour une session d'entraînement. D'abord purement physique, parce qu'un membre de la Garde se doit d'être au meilleur de sa forme en toute occasion. Puis, un entraînement pokemon, entre dresseur, purement amical. C'est un des rituels des deux jeunes hommes, en plus de l'entraînement dispensé par la Garde elle-même. Une sorte de défouloir, loin du tumulte de la vie à Néopolis et des escalades politiques courantes au District Diancie. S'il a commis l'erreur de ne pas considérer ses pokémons par le passé, le fils Wolfgang fait maintenant preuve d'un soin extrême envers eux. Il ne les poussent jamais plus loin que ce qu'ils peuvent, et une fois la session d'entraînement terminée et après avoir quitté Conrad, il passe sa journée seul avec eux, faisant en sorte de toujours se montrer attentif à leurs besoins. Personne ne s'est jamais demandé ce qu'il fait durant l'après-midi, après son entraînement, et s'il devait aborder le sujet, Alistair trouverait une excuse banale mais qui le mettrait à l'abri de nouvelles interrogations. Parce que ses pokémons, ça ne regarde que lui. Et qu'il ne voudrait pas qu'on le force à revenir plus tôt chez lui, là où il doit supporter sa fratrie.

Si son père est la personne la plus importante pour lui, l'opposé est tout aussi vrai pour son frère et sa sœur. Le trio n'a jamais été très proche, mais depuis ce qui s'est passé avec Sevis, les choses n'ont fait que se dégrader. Pour leur père, les aînés d'Alistair brillent dans tout ce qu'ils entreprennent, tandis que lui n'est reconnu que pour son échec avec son premier pokémon. Et qui n'éprouverait pas de la jalousie envers de tels modèles de comparaison ?  C'est pour ne pas à avoir à supporter leurs regards condescendants que le benjamin passe le plus clair de son temps hors du domaine familial. Le seul moment auquel il ne peut échapper, c'est le traditionnel dîner de famille des Wolfgang. Chaque soir, sans exception, ils se retrouvent tous pour le repas présidé par leur père. Si la présence de son frère et de sa sœur l'irrite particulièrement, le jeune homme n'en écoute pas moins les diverses discussions qui animent la soirée. Généralement, la situation dans les différents districts et les investigations sur la situation des divers groupes de rebelles occupe la plus grande partie de la soirée, suivi de la politique du gouvernement. Les discussions d'ordre privé n'ont pas vraiment leur place chez les Wolfgang, et Alistair ne s'en plaint pas. Il a toujours connu cette vie où chacun garde ses problèmes privés pour lui, alors ça facilite la distance qu'il a avec les gens en général.

Aujourd'hui, le dîner s'attarde plus que d'habitude, et il faut un énorme effort au jeune homme pour suivre le cours de la discussion sans s'endormir. Si la journée était plutôt agréable, les effets de sa nuit blanche se font maintenant sérieusement sentir et une remontrance de son père le pousserait vraiment au fond, aussi est-il soulagé de pouvoir quitter la table sans que personne ne se soit rendu compte de son état lamentable. Le chemin jusqu'à la chambre paraît durer une éternité, et Alistair fait signe à Basil de déguerpir dès qu'il le croise à l'entrée de la pièce, pas d'humeur à supporter sa présence. Péniblement, il retire ses vêtements et se glisse dans son lit. Demain, il devra de nouveau supporter son cousin. Demain, il devra encore chercher à s'améliorer, pour devenir celui que son père attend. Mais ce soir, il peut mettre tout ça de côté, et se laisser bercer par ses rêves de gloire. A moins qu'il ne soit la proie d'un nouveau cauchemar...