Lindy dévale les escaliers en marbre, traverse le grand hall à vive allure et débouche dans le bureau de Monsieur Griffin sans même prendre la peine de frapper, elle est bien trop emballée pour ne serait-ce qu’attendre trente secondes de plus. « Je peux le voir papa ? Dis-moi que je ne dois pas attendre la réception de ce soir, je ne pourrai jamais ! » s’exclame-t-elle plus enthousiaste que jamais. Voilà des lustres qu’elle l’attend ce dixième anniversaire, elle a l’impression d’être restée bloquée à l’âge de neuf ans pendant une éternité. Son paternel éclate d’un rire franc tandis qu’il observe la petite brunette sautiller d’un pied sur l’autre. « Joyeux anniversaire Lindy ! » s’exclame-t-il tout en enlaçant sa petite fille, qui n’en est plus vraiment une désormais. Il lui adresse un sourire joyeux avant de se détourner quelques secondes afin de fouiller l’un des tiroirs de son bureau pour en ressortir une pokéball flambant neuve. Les yeux de Lindy s’illuminent soudainement. Enfin, le moment est venu. « J’espère qu’il te plaira… » dit-il presque tout aussi excité qu’elle, avant de relâcher le pokémon. Une sorte de chauve-souris bleue et violette s'échappe immédiatement de la pokéball, ce qui laisse Lindy assez perplexe. « Ah… » Ce n’est pas vraiment ce à quoi elle s’attendait. « C’est un nosferapti. » lui explique son père. Elle hoche la tête, s’efforçant de sourire, bien que le cœur n’y soit pas réellement. Elle a tellement longtemps bassiné ses parents pour avoir un minidraco… La déception est donc au rendez-vous. « Il est… sympa. » se contente-t-elle de répondre tout en fixant la chauve-souris qui de son côté, ne semble pas ravie de ce commentaire. « Il ne te plait pas ? » « Oh si bien sûr ! » répond-elle immédiatement, elle ne veut guère décevoir son père ou même jouer la petite fille capricieuse, alors elle ment. « Allez viens par ici Osiris ! » s’écrie-t-elle à l’intention du nosferpati, guère enchanté par le ton employé par Lindy. Il s’exécute cependant sans trop rechigner afin de prouver sa bonne foi. Ce n’est pas exactement parti sur le bon pied entre ces deux-là, ils deviendront pourtant bien vite inséparables.


Lindy, terrée dans le noir sur un sofa, entend enfin le cliquetis familier de la porte d’entrée. Sans tarder, elle saute sur ses deux pieds, bras croisés contre sa poitrine en signe de désapprobation, un air faussement réprobateur affiché sur son minois. La lumière s’allume, il sursaute de surprise à la vue de la jeune femme. « C’est pas trop tôt ! » s’exclame-t-elle plus que soulagée. Son frère est de plus en plus absent ces derniers temps, ainsi que de plus en plus impliqué dans le mouvement rebelle, ce qui l’inquiète grandement. C’est son petit frère après tout, elle ne veut pas qu’il prenne des risques inutiles, elle souhaite simplement le protéger. Elle le soupçonne d’ailleurs d’avoir rejoint un mouvement beaucoup plus radical que « Les lumières », bien qu’elle ne puisse le confirmer. « Tu es entrée chez moi par effraction ? » s’offusque-t-il bien que son ton trahisse une certaine hilarité. « Je m’inquiétais et il y’a de quoi puisque tu laisses ta fenêtre de derrière ouverte ! » Kaï n’a jamais été prudent, ce n’est pas dans sa nature, elle sait pertinemment qu’elle n’a pas le droit de le blâmer puisqu’elle est tout aussi téméraire et têtue que lui, mais tout de même, elle fait un tant soit peu attention. « T’as raison je devrais faire plus attention, il y’a des gens bizarres qui traînent dans le coin ces derniers temps. » répond-il tout en la fixant intensément. Pour toute réponse, elle lui balance un coussin en pleine figure. On ne la traite pas de « bizarre » sans qu’il n'y ait des représailles. « Tu t’engages sur un terrain glissant Lindy… » déclare-t-il avant de se jeter sur elle, la faisant basculer en arrière sur le sofa et en profitant pour la chatouiller. La torture ultime. Ils ont toujours eu pour habitude de se chercher des poux et ce depuis leur plus jeune âge. Il était d’ailleurs plus que fréquent de les retrouver recouvert de bleus après avoir joué à « la bagarre ». « Arrête ! » s’écrie-t-elle entre deux éclats de rire. Bien évidemment, Kaï n’obtempère pas immédiatement, préférant profiter de cette occasion et de son avantage pour se venger de toutes les fois où elle a eu le dessus. « Que ne je te reprenne plus à escalader ma fenêtre, sinon je préviens la garde. » la menace-t-il, bien qu’elle n’y croit pas une seule seconde. Lindy plonge son regard dans les prunelles noisette de son frangin, identiques aux siennes. Elle se retrouve souvent en lui, elle ne sait d’ailleurs pas ce qu’elle ferait sans lui. « Promet-moi d'être prudent. » Il soupire, surement agacé par l’attitude surprotectrice de sa sœur. « Ne t’inquiètes plus pour moi, ok ? » Elle hoche faiblement la tête, bien qu’elle sache pertinemment que cela est impossible. Elle aura toujours peur qu’il lui arrive malheur. « Viens par-ci. » Il ouvre grand les bras et c’est sans plus de cérémonie qu’elle s’y blottit.


« Alors ? » Agacée, elle lève ses prunelles noisette vers son impudent interlocuteur tandis que la maquilleuse s’éloigne de quelques pas afin de leur laisser un semblant d’intimité, bien qu’elle doit très certainement tendre l’oreille à la recherche de ragots croustillants. « Ce n’est pas exactement le bon moment. Je passe à l’antenne dans dix minutes. » rétorque-t-elle une pointe d’irritation dans la voix. Il est plutôt culoté d’aborder un sujet aussi délicat et surtout relatif au mouvement rebelle en plein lieu public. De toute façon, elle n’a guère avancé depuis la dernière fois. A vrai dire, elle pourrait très largement récolter un paquet d’informations auprès de sa nouvelle amie Mara O’Reilly, mais elle n’en a guère envie. Les sentiments ne doivent pas entrer en jeu en règle générale, surtout quand on parle d’une pro-gouvernement falsifiant surement bon nombre d’articles à propos des rebelles, bien qu’au final elle n’en a pas encore la preuve, c’est une simple supposition. De toute façon, l’entièreté la presse est corrompue, même elle se plie aux exigences de ses patrons et se contente de lire ses fiches soigneusement rédigées par des partisans du gouvernement actuel. « J’aimerais juste savoir si… ta recherche s’avère fructueuse. » Elle lui jette un regard noir traduisant ses pensées. Si sa partie de pêche aux informations avait été fructueuse, elle en aurait informé « Les lumières » expressément. Quel imbécile ! Lindy n’a jamais pu supporter ce petit ingrat, lécheur de bottes et dénué de cervelle. « J’y travaille. Maintenant laisse-moi, je dois me préparer. » réplique-t-elle sans plus de détails. Après tout, il n’a aucunement besoin de savoir où elle en est dans sa pioche aux infos, ça ne le regarde pas. Elle reporte son attention sur le miroir lui reflétant son image, niant délibérément son interlocuteur. « Mademoiselle Griffin, nous devons nous dépêcher, une information de dernière minute est arrivée, vous devez être briffée afin de pouvoir couvrir le sujet. » s’exclame Julia, sa maquilleuse, tout en lui appliquant grossièrement du blush. « Quel genre de… » « Une attaque rebelle avec victimes et blessés. » la coupe-t-elle. Lindy fronce les sourcils, « La main rouge » doit encore avoir fait des siennes. Elle ne supporte pas la violence et l’usage abusif qu’en font les partisans de ce groupe. Ce n’est certainement pas ce genre d’acte qui fera avancer les choses. Elle contemple une dernière fois son reflet, qu’elle juge beaucoup trop maquillé, avant de filer en direction des bureaux. Elle est loin de s’imaginer à cet instant que Kaï, son frère, fait partie des victimes, des dommages collatéraux.


« Tu es étrange ces derniers temps. » Lindy sursaute. Une main posée contre sa poitrine afin de calmer son cœur affolé, elle lève les yeux vers Camille, sa sœur. Elle évite sa famille ces derniers temps, prétextant toutes sortes d’excuses telles que la surcharge de travail ou une vie sentimentale surchargée alors qu’en réalité cette dernière est quasi inexistante. Elle ne sait tout simplement plus où elle en est et affronter le regard inquiet de sa mère ou encore les incessantes questions de son paternel est au-dessus de ses forces. « Tu te fais de fausses idées. » répond-elle placidement tout en triturant nerveusement ses mains. Camille a toujours su lire en elle comme dans un livre ouvert, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle l’évite plus que les autres, elle ne peut tout simplement pas se résoudre à lui faire part de ses doutes concernant le mouvement rebelle en général ainsi que sa place au sein « Des lumières ». « Je te connais mieux que personne Lindy, je sais quand ma grande-sœur me ment, d’accord ? » Elle soupire grandement tout en adoptant une mine renfrognée. Pourquoi est-ce que personne ne comprend qu’elle n’a tout simplement pas envie de parler, en tout cas pas de ça. Elle n’a aucune envie de justifier son comportement étrange et changeant et pourtant tout le monde s’obstine sur cette pente ardue. Sont-ils tous trop étroits d’esprit pour comprendre qu’elle a besoin d’un peu d’air et d’espace ? Il est clair que le mot solitude n’est pas ancré dans les habitudes de la famille Griffin. Sincérité et confiance, voilà leur devise. « Mon frère est mort, je pense que c’est une raison suffisante expliquant mon récent comportement. » déclare-t-elle durement. Lindy plante son regard dans les prunelles de sa sœur. Peine, déception, douleur, voilà ce qu’elle y lit. Elle n’est pas fière de blesser Camille, ce n’était pas son intention première. « Ce n’est pas en t’éloignant de tous tes points de repère que tu te sentiras mieux. » Sa voix traduit un profond accablement et une tristesse incontestable. Elle aimerait trouver la force de la réconforter, de l’aider, mais elle n’en a pour l’instant guère le courage. Elle n’arrive déjà pas à remettre de l’ordre dans sa propre vie, dans son propre esprit. Peut-être que le gouvernement est profondément mauvais et injuste, ou peut-être qu’il ne l’est pas en fin de compte. Peut-être que les rebelles sont la vraie menace. Elle ne sait plus rien du tout. Elle n’a plus de point de repère au final. « Peut-être que tu as raison, mais j’ai besoin d’espace Camille. » Elle est ferme intentionnellement. C’est le seul moyen de faire déguerpir sa petite sœur. Peut-être qu’elle passera le mot au reste de leurs proches. Lindy a besoin de prendre de la distance avec la pression familiale, de prendre un nouveau départ en fonction de ses propres besoins et non en corrélation avec les envies de ses parents. Elle ne souhaite cependant pas couper les ponts, elle veut tout simplement qu’on lui laisse suffisamment de temps pour réfléchir, clarifier la situation et se ressourcer. « Très bien. » rétorque Camille en s’éloignant de quelques pas. « Sache que tu n’es pas la seule à avoir perdu un frère, je souffre autant que toi. » Sur ces paroles déchirantes, elle s’en va. Lindy s’en veut de ne pas pouvoir être présente pour elle, de ne pas pouvoir lui servir d’épaule compatissante sur laquelle pleurer, mais elle a déjà l’impression d’être brisée, alors comment pourrait-elle ramasser et recoller les miettes de sa sœur ?